Dijon vu par... été 2011
Dijon vu par Aurélien Benoist et Frédérick Gagné
Sallon Apollon, Palais des États de bourgogne jusqu'au 4 septembre 2011
« Dijon vu par… » 2011 propose de bouleverser les esprits par un duo photographique et plastique.
Aurélien Benoist et Frédérick Gagné posent leur regard depuis quelques années déjà sur l’esthétisme de la ville. Ces deux artistes amènent par une scénographie construite tel un souvenir précieux et plastique d’une époque, un Dijon existé… Cette installation insuffle au visiteur une vision à la fois poétique et critique d'endroits imposés ou oubliés.
Les photographies d’Aurélien Benoist, plus que des paysages urbains, évoquent de réels portraits de ville. Le photographe change la structure de l’image. Il pose la vérité sur papier et s’éloigne volontairement du réel par la technique du traitement croisé. Sans pour autant baser ses recherches sur le côté historique de la cité, ces clichés argumentent les vestiges architecturaux et le patrimoine dijonnais.
Proche de cette réalité photographique, l’œuvre de Frédérick Gagné bascule ou bouscule dans un univers plastique actuel. Des techniques mixtes sur toiles, pour la plupart composés de collages photo et acrylique, composent l’espace pictural. Lieux différents, inspirations différentes ; ce sont des paysages que transcrit l'artiste. Une fois transposés sur la toile, ils reflètent un paradoxe palpable, un questionnement qui doit animer le regardant.
Les deux artistes travaillent en collaboration sur la périphérie de la ville. Leur choix du grand format reste motivé par un désir d’implication du spectateur dans l‘œuvre. C’est ainsi que dans l’exposition 2011, réalisations photographiques et plastiques se côtoient pour déployer un panorama singulier de la ville de Dijon.
Poésie paradoxale
Frédérick GAGNE, c’est du dynamisme et sa peinture est comme lui, active.
Sur sa toile l’œil est amené à suivre des lignes droites, toujours droites et dans
toutes les directions :
verticales, horizontales, obliques.
Ses lignes, comme de fins et lumineux rayons laser trouent le paysage et forcent
à percer la matière pour voir plus loin, plus haut, plus large et plus profond.
Lignes directionnelles, lignes pénétrantes, elles
accentuent les perspectives, soulignent la géométrie des architectures, étirent les formes,
enchevêtrent les plans. Lignes, matières, couleurs sont
la caractéristique de son langage pictural.
Frédérick GAGNE, comme beaucoup d’autres artistes plasticiens contemporains,
photographes, peintres, maquettistes, sculpteurs … s’est emparé du thème de la ville.
On pense à Jordi COLOMER et ses maquettes, à Simon BOUDVIN et ses collages photos,
à Alain BUBLEX revisitant ARCHIGRAM, et tant d’autres. On ne s’en étonnera pas
quand plus de la moitié de la population mondiale vit en ville. Frédérick GAGNE
interroge les grandes mutations de l’architecture urbaine et questionne l’urbain et
l’urbanité au XXI° siècle.
Frédérick GAGNE, en vrai artiste, part du réel puis il le transfigure en en
donnant une vision toute personnelle. C’est bien la personnalité du regard qui
fait la force de l’artiste en même temps que sa virtuosité plastique.
Frédérick s’intéresse aux architectures, aux immeubles dont les formes de
parallélépipèdes sont d’une grande banalité. Il s’intéresse aussi aux espaces désertés,
aux friches industrielles, aux no man’s land (le chemin, la Rodhia ).
Qu’est ce qu’une ville ? Frédérick y répond en présentant des lieux emblématiques
pris dans différentes villes d’Europe (people, seelenwaderung) des architectures,
des gens rencontrés sur les trottoirs, une circulation, des lumières,
une mobilité géographique et temporelle. Est-ce aujourd’hui ou déjà demain ?. .
Des centres, des périphéries… est-on encore dans la ville ? En limite ? Au – delà ?
Bien des prises de vues en limite de Dijon ne sauraient être reconnues par ses habitants,
et pourtant c’est de cette réalité là que Frédérick est parti, montrant
des vues prises aux quatre points cardinaux de la ville
(fontaine d’ouche, passerelle,Dijon-nord-ouest,ailleurs).
Les périphéries de la ville, la banalité démultipliée des
extensions urbaines, la solitude, la métamorphose permanente des
quartiers sont ses thèmes récurrents.
Frédérick GAGNE est un peintre dans l’acception classique du terme :
il peint sur des toiles tendues sur des châssis de bois avec de la peinture
qu’il applique au pinceau. Mais sa technique, comme ses sujets, sont plus
complexes qu’il n’y paraît. Il est très nettement un plasticien.
Son originalité réside à la fois dans son investigation sensorielle de la ville,
qu’il parcourt avec un photographe, Aurélien BENOIST, comme dans sa
démarche plastique qui allie la photographie,la peinture acrylique et des techniques mixtes.
Frédérick et son ami photographe commencent par une expérience spatiale unique.
Ils parcourent les quartiers, plan de ville et appareil photographique au poing,
quadrillant scientifiquement leur espace tout en restant ouvert à toutes les rencontres
et à tous les imprévus. Ils interrogent la réalité urbaine dans toutes ses dimensions,
spatiale, architecturale, urbanistique, humaine, traquant les angles de vue, les perspectives,
les lignes, les masses, les matières, le passé, le devenir, l’âme des lieux.
Le résultat plastique est un paysage urbain dont la texture est lisse, soignée, géométrique
et qui paraît simple. Mais en y regardant de plus près les plans se superposent,
les points de vue s’inversent, les perspectives se multiplient comme dans un jeu de miroirs.
Sous une apparence « clean » l’œil s’engage dans un questionnement sur l’urbanité,
guidé par des perspectives qui n’aboutissent nulle part sinon sur des interrogations.
Ses représentations comme ses techniques créent un trouble entre le réel et l’imaginaire.
Son travail utilise des photographies mais celles-ci sont masquées au milieu d’autres matériaux.
Où est la photographie ? Où est le travail plastique ? Où est la peinture ? On ne peut plus le
dire tant les différents matériaux s’interpénètrent pour créer une œuvre originale.
De même il trouble les perspectives et les plans en les croisant, en les inversant, aboutissant
à des perspectives impossibles, des espaces paradoxaux à la façon du peintre M.C. Escher.
Ni figuratif, ni abstrait, Frédérick GAGNE part du réel qu’il observe et dont il utilise la représentation photographique mais ce réel est agrandi, étiré, déformé, retravaillé, imaginé.
La ville de Frédérick est aussi une ville inscrite dans le temps. Ses personnages circulent,
ses immeubles et ses quartiers s’effacent, comme s’ils tombaient en poussière
ou comme s’ils n’étaient que le
fruit d’une hallucination (Charcot, Tak jak to prichazí). La nature reprend ses droits
là où les hommes abandonnent leurs constructions. Dans le même espace, le présent
et le futur sont présentés ensemble. Le temps est signifié aussi par le rythme
(des lignes, des plages colorées, des immeubles, des fenêtres,
des silhouettes, des plans).
Ainsi la ville est-elle le lieu de toutes les utopies mais aussi un espace anxiogène,
le réceptacle de toutes les peurs, peur de l’étouffement (pont, Fontaine d’Ouche)
peur de la perte de sens avec des perspectives qui n’aboutissent nulle part (Awake, Solitude ),
peur de la dépersonnalisation avec des immeubles impersonnels (Elsewhere) peur de la solitude
( série Friche, Zaloba, Droga…), mémoire des tragédies (Vergessen).
La ville est aujourd’hui partout et inévitable. L’impensable s’y est déjà produit (le 11 septembre 2001)
et tout peut encore y advenir.
Entre lyrisme coloré, beauté des couleurs, dynamisme des lignes, apparitions et disparitions,
lumière irréelles, réalité et symétrie des masses, l’univers de Frédérick GAGNE
associe systématiquement le
réel à l’étrange. Le résultat est tout simplement prenant et très esthétique.
Aude WETTSTEIN,
Professeur d’Histoire et d’Histoire des Arts